Lettre ouverte aux institutions européennes sur la réforme
de la politique de l’UE en matière d’indications géographiques

Les associations soussignées, représentant la grande majorité des acteurs européens du secteur des Indications Géographiques (IG), sont extrêmement préoccupées par la direction que la Commission européenne (CE) semble avoir prise dans la prochaine réforme de la politique des IG. Plus précisément, nous sommes préoccupés par l’intention de la CE d’externaliser la gestion quotidienne de nos cahiers des charges IG à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), qui est responsable de l’enregistrement des marques et des dessins et modèles.
Ceci est extrêmement déroutant. La CE a promu le caractère unique du système sui generis de protection des IG de l’UE qui a, depuis toujours, été géré au niveau national et européen par les autorités en charge de l’agriculture en tant qu’outil de la politique agricole et de développement rural. Pendant des décennies, la CE a investi des ressources dans la promotion d’une approche similaire dans le monde entier en insistant sur les spécificités des IG et leurs différences avec les autres droits de propriété intellectuelle (DPI), justifiant ainsi un système de gestion différent. Non seulement les IG ont un régime autonome différent de celui des marques et des autres DPI, mais elles sont des droits collectifs remplissant plusieurs fonctions de caractère public (les IG sont un bien public, elles bénéficient d’une protection ex officio et, de dérogations spécifiques au droit de la concurrence). Les IG ne sont pas l’expression d’intérêts privés qui protègent uniquement un nom ou un signe.
Au fil des années, les IG de l’UE sont devenues un symbole de la qualité des aliments et des boissons européens dans le monde entier. Des investissements considérables ont été réalisés par toutes les personnes concernées, acteurs du secteur privé et public, pour renforcer la protection et la promotion des IG au profit de nombreuses régions rurales dans toute l’UE. La politique de qualité ne vise pas seulement à protéger les noms des IG, mais aussi à valoriser, défendre et promouvoir les atouts et les particularités des IG.
La politique actuelle en matière d’IG est un succès. En 2013, le commerce des IG de l’UE représentait 54 milliards d’euros par an et, en 2017, 75 milliards d’euros par an. Aujourd’hui, les IG représentent 15,5 % du total des exportations agroalimentaires de l’UE.
Nos associations estiment que nous disposons actuellement d’un cadre juridique solide pour les IG dans l’UE. Il tient compte du rôle des IG en tant qu’instrument de politique publique, outil de développement local et élément clé des politiques agricoles et commerciales de l’UE.
En outre, la récente réforme de la politique agricole commune (PAC) a apporté des mesures supplémentaires et positives significatives pour nos secteurs, telles qu’une simplification importante des procédures de modification des cahiers des charges des IG (modifications à l’échelle de l’Union et modifications standard), une meilleure protection, la possibilité d’inclure volontairement des éléments de durabilité dans les cahiers des charges et la possibilité pour toutes les IG de faire usage de l’instrument de régulation de l’offre. Ces changements majeurs apportés à la politique de l’UE en matière d’IG sont conformes aux demandes de la société et au « Green Deal » de l’UE. Ils viennent d’entrer en vigueur et rationaliseront les procédures au profit des producteurs, des consommateurs et de la Commission européenne.
Nous considérons que les IG ont des fonctions de caractère public. Elles sont bien plus que de simples droits de propriété intellectuelle. En fait, elles ont été considérées par les décideurs politiques jusqu’à aujourd’hui comme des instruments de politique publique, fournissant des biens publics à l’ensemble de la société européenne, garantissant :
  • Un développement local par le maintien de la population et de l’emploi en milieu rural,
  • Une production non délocalisable,
  • Des prix supérieurs pour les producteurs (en moyenne 2,85 pour les vins IG, 2,52 pour les spiritueux IG et 1,5 pour les produits agricoles et les denrées alimentaires IG),
  • Une bonne gestion des paysages et de la biodiversité,
  • Le respect des savoir-faire traditionnels et de la spécificité des produits.
Nous sommes fermement convaincus que les IG ont un rôle de premier plan à jouer dans la stratégie « de la ferme à la table » et qu’elles devraient être utilisées par les décideurs européens et nationaux comme un outil clé pour assurer la durabilité tout en préservant l’équilibre territorial au niveau régional. C’est la raison pour laquelle la gestion des IG de l’UE doit rester entre les mains de la Commission européenne et ne doit pas être confiée à une agence externe.
Nos associations sont convaincues que le fait de déléguer à l’EUIPO tout rôle en matière de gestion des indications géographiques enverrait un signal négatif. Cela mettrait à mal l’opposition de l’UE à la conception américaine selon laquelle un régime de marque collective ou de marque de certification est le moyen le plus efficace de fournir une protection des IG conforme aux ADPIC. Ce serait un revirement total par rapport à la position que l’UE défend farouchement depuis des années au niveau international.
De plus, il est crucial de prendre en compte le fait que nos cahiers des charges IG comprennent de plus en plus de dispositions qui vont au-delà de la protection du nom. Par conséquent, la Commission européenne est la seule autorité qui dispose de l’expertise nécessaire pour les traiter, puisqu’elle est en mesure d’évaluer les éléments des spécifications des IG qui traitent de la durabilité (inhérente aux IG), de la qualité, de la concurrence loyale, etc. tous ces éléments qui vont être de plus en plus centraux au regard de la stratégie du « Green Deal » de l’UE. La Commission peut également garantir que le système des IG reste véritablement européen, en assurant l’uniformité et la cohérence de son application dans toute l’Union.
Enfin, nous rejetons l’argument de la CE selon lequel elle doit disposer de plus de ressources pour gérer la politique des IG. Nous pensons que les nouvelles règles élaborées pour simplifier la procédure de modification (standard versus Union) des cahiers des charges IG aideront la Commission européenne à faire face aux éventuels retards et arriérés, comme cela a été démontré lorsque des changements similaires ont été introduits pour les vins IG il y a quelques années. Le nombre de dossiers en attente est beaucoup plus limité aujourd’hui et les opérateurs IG ne souffrent pas de retards.
En résumé, la politique actuelle en matière d’IG ne se limite pas à la protection d’un nom, mais fait partie intégrante de la politique agricole commune et de la politique de développement rural. Elle doit continuer à en faire pleinement partie et être entièrement gérée par la Commission européenne.
Par conséquent, nous appelons à une implication forte et continue de la Commission européenne, et plus directement de la DG AGRI, dans la gestion de la politique des IG, à la lumière de son expérience et de sa compréhension globale des IG de l’UE, que ce soit en termes de promotion du développement rural, de durabilité, de protection ex officio ou de négociation d’accords bilatéraux ou multilatéraux.AREPO, l’Association des régions européennes pour les produits d’origine (www.arepoquality.eu) est un réseau de régions et d’associations de producteurs qui s’occupe des produits d’origine et des systèmes de qualité de l’UE. Il représente 33 régions européennes et plus de 700 associations de producteurs pour plus de 60 % des IG européennes.
AREV, L’Assemblée des Régions Européennes Viticoles crée il y a 33 ans est basée à Bruxelles, elle compte une cinquantaine de régions européennes membres, représentées par un double socle : les politiques régionaux élus et les représentants des organisations professionnelles viticoles. Ce modèle confère à l’AREV une légitimité statutaire et historique. (http://www.arev.org)
EFOW, la Fédération européenne des vins d’origine (www.efow.eu), est l’organisation basée à Bruxelles qui représente les vins AOP et IGP auprès des institutions européennes. EFOW représente plus de 80% des vins IG de l’UE. En tant que porte-parole des vins d’origine, EFOW a pour mission de défendre et de promouvoir le concept des vins à Indication Géographique au niveau européen et international.
oriGIn EU est la branche européenne de l’alliance mondiale des Indications Géographiques (www.origin-gi.com) et représente les groupes individuels d’IG ainsi que les associations nationales d’IG auprès des institutions européennes. Le secteur des IG apporte une contribution considérable à l’économie européenne, représentant une valeur de vente de plus de 75 milliards d’euros et quelque 15,5 % des exportations totales de denrées alimentaires et de boissons de l’UE.

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