Vous pouvez trouver ci-dessous la version originale de l’interview en italien de M. Bernard Farges paru sur Gambero Rosso le 18 février 2016:

http://www.gamberorosso.it/it/settimanale/1023976-18-febbraio-2016

Ci-dessous la version française traduite par le Secrétariat d’EFOW:

1/ EFOW considère que la proposition de simplification de la législation viticole présentée par la Commission Européenne remet en cause les dispositions qui s’appliquent aux vins avec indication géographique. Vous parlez même d’un risque de « démantèlement » du Règlement 607/2009. Pourquoi ?

EFOW considère qu’au travers de sa proposition de simplification des actes délégués et d’exécution, la Commission Européenne remet en cause la législation viticole actuelle. Ceci nous préoccupe fortement.

Tout d’abord, nous ne comprenons pas la méthode de la Commission et trouvons inacceptable que seulement une partie des textes soit mise sur la table. Ces textes ont vocation à en remplacer d’autres, il est donc impossible de mener une analyse globale du projet sans disposer de l’intégralité des textes. De plus, éparpiller les dispositions d’un des textes de base du secteur (Règlement 607/2009) dans plusieurs textes législatifs ne constitue pas, selon nous, une simplification pour les opérateurs.

De surcroît, nous estimons que la Commission Européenne compromet les équilibres trouvés lors des dernières réformes de notre secteur (réforme vin 2008 et réforme PAC 2013). Suite à une première analyse des textes disponibles, nous constatons que ces projets n’incluent pas un certain nombre de dispositions essentielles, notamment des règles concernant les vins sous appellation d’origine. Par exemple, nous ne retrouvons pas dans les projets de texte les dispositions faisant référence à l’interdiction pour un vin sans indication géographique d’indiquer sur son étiquette une origine géographique plus petite que l’Etat membre d’origine.

Enfin, nous constatons que le projet modifie en profondeur la règlementation actuelle concernant les mentions traditionnelles, les noms de cépage, la forme des bouteilles et bien d’autres thèmes.

En conséquence, EFOW demande à la Commission de revoir sa méthode de travail et d’agir sans remettre en cause l’équilibre des dispositions existantes.

2 / Le Commissaire à l’agriculture, Phil Hogan, a rassuré l’Italie et le Ministre Maurizio Martina sur le fait qu’il n’y a aucun risque pour les variétés de vins locales. L’Italie a fait part de fortes préoccupations pour son Lambrusco, Vermentino et de nombreuses autres appellations. Pouvons-nous faire confiance au Commissaire Hogan ? Quels sont les pays qui poussent à cette libéralisation ?

Le Commissaire Hogan doit prendre en compte et maintenir les compromis trouvés en 2008 lors de la dernière réforme viticole européenne. Nombreux sont ceux au sein du secteur, des Etats membres et du Parlement européen qui sont satisfaits par la réglementation en vigueur et qui sont opposés à toute révision de la législation vin. Nous espérons que le Commissaire Hogan prendra la mesure des enjeux ainsi de la sensibilité de cette question avant d’engager des démarches pouvant avoir un impact négatif sur la législation viticole européenne.

3/TTIP. Les USA sont actuellement focalisés sur la campagne présidentielle. Nous avons la sensation qu’à partir de maintenant il va y avoir un ralentissement des négociations. Malheureusement, les sujets concernant le vin n’ont toujours pas été évoqués à ce stade des négociations. Parallèlement, à la fin de l’année 2015, les USA ont signé le Trans Pacific Partnership (TTP) avec la zone Asie. Pouvons-nous dire que la situation n’est pas celle espérée ?

Les USA représentent notre plus gros marché en terme d’exportation, et la consommation de vin des américains a fortement augmenté cette dernière décennie. Depuis 2013, les USA constituent le plus gros marché de consommation du vin au monde.

Les négociations concernant les Indications Géographiques viticoles sont bloquées depuis l’entrée en vigueur de la première phase de l’accord vin conclut entre l’Union européenne et les USA en 2006. Il est clair pour le secteur, le Parlement Européen, un nombre important d’Etats membres et la Commission Européenne que des avancées doivent être obtenues dans le cadre du TTIPTPP sur ce point ; il s’agit d’un point non négociable. Cela nécessite de la part des négociateurs américains qu’ils soient disposés à discuter pour trouver une solution concrète. Il sera très compliqué d’avoir un accord avant la fin de l’année 2016 mais nous tenons à favoriser le résultat plutôt que la rapidité.

Il y a de réels enjeux dans la zone PacifiqueEn ce qui concerne les dispositions du TPP, certaines nous préoccupent ; c’est pourquoi EFOW suivra de très près le processus de ratification de cet accord. Les opportunités de marché de cette zone du monde sont importantes et représentent pour notre secteur de réelles sources de développement. Nous espérons que la Commission européenne continuera à renforcer ses négociations commerciales avec les pays dans cette région et qu’elle pourra ainsi finaliser et ratifier un nombre d’accords le plus vite possible.

4/ Les accords de libre-échange ne peuvent pas se limiter à la simple élimination des barrières tarifaires. Que souhaite EFOW ? 

Nous remarquons aujourd’hui que les barrières au commerce mondial ne sont plus seulement tarifaires mais souvent non-tarifaires.  EFOW espère que toutes les négociations commerciales permettront un meilleur accès aux marchés des pays tiers et, selon nous, ceci passe par la reconnaissance et la protection de nos Indications Géographiques viticoles. Le fait qu’un producteur dans un pays tiers puisse librement user de nos Indications Géographiques à des fins de production et commercialisation de son vin a un impact sur nos parts de marché et sur la fidélisation de nos consommateurs. Mais le principal problème reste qu’à terme le concept même d’Indication Géographique s’en trouverait dilué alors qu’il constitue l’un des piliers de notre règlementation viticole actuelle.

5/ A l’intérieur du panorama viticole européen il existe une spécificité italienne qui dérive du fait que l’Italie possède un nombre d’espèce de vignes locales très élevé. En France, au contraire, on dénombre moins d’appellations, mais celles-ci sont mieux valorisées. Vous venez de Bordeaux. Quel est votre stratégie de développement ?

Bordeaux a historiquement assis sa notoriété et par conséquent sa valorisation sur la qualité de ses vins, bien sûr, mais aussi sur les Châteaux et propriétés reconnues.

Cette reconnaissance s’est construite par la diffusion dans le monde entier de ces vins par des négociants souvent étrangers. De nombreuses maisons de négoce à Bordeaux portent encore des noms aux consonance anglaise, hollandaise, autrichiennes, belges.

Puis la création des AOC dans les années 1930 a orienté ce vignoble vers le 100% AOC (ou presque) depuis 25 ans. Cette orientation assumée et forte a permis au vignoble de se concentrer sur la valorisation plutôt que sur les volumes en tentant de trouver de nouveaux marchés. Chaque nouveau marché est d’abord pénétré par nos vins les plus prestigieux, puis nos Bordeaux et Bordeaux Supérieur entrent et développent la diffusion, avant que le reste de la gamme ne vienne compléter ce processus.

Le nombre important d’exportateurs présents sur le marché contribue à cette diffusion valorisée, avec un travail acharné à mener pour maintenir et développer chaque jours nos ventes dans un marché très concurrentiel.

6/ Le nouveau système d’autorisation de plantation est entré en vigueur au 1er janvier 2016. Les grands pays producteurs, comme l’Italie, demanderont probablement à l’Union européenne d’augmenter la limite fixée à 1% de leur vignoble national. Ils le feront probablement en 2017 à l’occasion de la révision de la PAC. Est-ce que EFOW pense qu’il y aura un besoin d’augmenter le potentiel de production de plus d’1% pour satisfaire la demande ?

Ce système vient tout juste d’entrer en vigueur, il est donc difficile, à ce stade, de mesurer concrètement les effets sur nos terroirs et sur le développement de nos vignobles. Nous ferons un premier bilan après la phase de dépôt des dossiers individuels qui se terminera fin avril 2016. C’est seulement à ce moment-là que nous pourrons savoir si les besoins actuels des producteurs excèdent la limite fixée au niveau national. Nous n’excluons pas la possibilité de demander à la Commission d’améliorer les règles actuelles.

Dans tous les cas, nous sommes satisfaits d’avoir réussi à maintenir un instrument de régulation de notre potentiel de production. Aujourd’hui, la viticulture est le dernier secteur de l’Union Européenne à bénéficier d’un tel mécanisme qui nous est envié par beaucoup dans le secteur agricole.

 7/ EFOW travaille aussi sur les aspects sociaux de la consommation de vin. Quels plans concrets prévoyez-vous pour 2016 ? Comment expliquez-vous l’augmentation de la consommation d’alcool ayant un faible degré ?

Les membres d’EFOW estiment que promouvoir une consommation responsable de vin est le meilleur moyen de lutter contre l’abus d’alcool. Le prolongement du mandat du Forum Européen Alcool et Santé par la Commission est un vote de confiance en ce sens. La publication de l’étude concernant l’étiquetage des ingrédients et la valeur nutritionnelle pour les boissons alcoolisées constituera un rendez-vous important cette année. EFOW et plus largement la filière viticole doivent être force de proposition sur ce sujet.

La progression des vins à faible degré d’alcool est le résultat des attentes de certains de nos consommateurs visant des produits plus « light ». Nous devons adapter notre offre à ces nouvelles demandes car ce sont souvent de nouveaux consommateurs qui découvrent le monde du vin au travers de ces produits généralement plus faciles à comprendre et donc à déguster.  Ces types de vins constituent aussi un excellent moyen de rapprocher ces nouveaux consommateurs de nos vins plus traditionnels. Cela enrichi donc notre offre mais aussi notre palette de clients.

8/ Dans le futur, Internet sera un canal privilégié pour vendre le vin. Cependant, Internet représente aussi un domaine où il est difficile de défendre les indications géographiques. Qu’est ce qui peut être fait ?

Jusqu’à maintenant les négociations internationales se sont concentrées sur le monde réel (offline) et elles n’ont pas suffisamment pris en considération le monde virtuel (online). Toutefois, ces dernières années, avec la diffusion des technologies de l’information et de la communication, Internet est devenu un outil de plus en plus utilisé par les consommateurs pour avoir accès à l’information et faire leurs achats. Pour citer quelques exemples, les ventes de vins en ligne ont augmenté de 30% par an. Internet risque donc de devenir dans le futur proche un de nos plus gros marchés. Il est donc essentiel de définir les règles du jeu qui s’appliqueront à ce marché afin d’assurer une concurrence loyale et équitable.

La bataille menée par EFOW sur le dossier ‘.VIN’ et ‘.WINE’ nous a permis de mettre en exergue les difficultés auxquelles nous faisons et feront face. Nous avons su négocier un accord commercial satisfaisant mais ce n’est pas suffisant. Plus de 1930 nouveaux noms de domaines génériques ont été créés suite à la libéralisation d’internet sans qu’une réelle réforme de la gouvernance d’Internet n’ait lieu. EFOW estime que la Commission européenne, en collaboration avec les Etats membres, la société civile et plusieurs autres secteurs économiques doivent lancer des réflexions approfondies sur ce sujet et prendre en compte cette nouvelle réalité avant qu’il ne soit trop tard et que des débouchés potentiels ne soient plus accessibles à nos producteurs car déjà cyber-squattés.

Interview du Président d’EFOW – GAMBERO ROSSO